Eduquer
à la paix, oui !
… mais
laquelle ?
Pour
la deuxième année, un collectif d'associations initie
et coordonne la Semaine de l'éducation à la Paix en
région Nord-Pas de Calais. La Paix... Un grand mot auquel
beaucoup se déclarent très attachés. Un grand
mot très utilisé, parfois galvaudé, et sujet à
des interprétations variées. Les définitions les
plus fréquentes renvoient à l'absence de conflits et de
violence, à l'ordre, à la tranquillité. Est-ce
cela que nous voulons promouvoir à travers cette semaine de
l'éducation à la paix ? Ne convient-il pas de revenir
sur le sens de ce mot ? En effet il y a souvent une grande
distance « entre le sens actif des premières
occurrences du mot et la vision statique qui prévaut quelques
siècles plus tard ».
Il semble que le mot ait subit un appauvrissement de sens. C’est
pourquoi nous souhaitons (re)lancer l'échange et le débat
sur le sens de cette paix que nous promouvons. Il nous semble en
effet important de ne pas s'enfermer dans des versions sirupeuses de
la paix, et de pouvoir mettre de la consistance derrière ce
mot. L'éducation à la paix, ce n'est pas uniquement une
affaire de supports pédagogiques et d'outils, c'est aussi et
avant tout se poser cette question : quelle paix ?
Paix
intérieure ET paix sociale
« Pour
faire la paix, il faut être deux : soi-même et le voisin
d'en face » Aristide Briand
La
paix intérieure est une quête spirituelle qui intéresse
de plus en plus de nos contemporains. Dans ce cadre, la conception de
la paix renvoie souvent à un état d'esprit personnel
exempt de tous sentiments négatifs, un état de calme
(« être en paix », « laisser
en paix »). Cette conception tend à limiter la paix
à une vision statique de l'ordre et de l'harmonie intérieurs,
masquant la dimension sociale et le caractère dynamique de la
paix. En effet la paix est un idéal vers lequel nous ne
pouvons que tendre, et cette quête intègre à la
fois une dimension personnelle et une dimension sociale.
« La
question du conflit pose d'abord la question de l'autre, de l'ombre
qu'il porte sur moi. Avec le conflit, je nais à moi-même,
j'apprends à me connaître et à reconnaître
ceux qui m'entourent. Il ne s'agit donc pas de nier le conflit mais
de le rendre fécond » Jacques
Arènes.
Travailler
à la paix par la paix intérieure n'est donc pas fuir
les conflits sociaux, c'est une manière de les affronter en
interrogeant notre rapport au conflit. En même temps…
« Faut-il attendre d'avoir atteint la plénitude
de la paix intérieure pour se décider à agir
pour la paix dans le monde ? Ne risque-t-on pas d'attendre longtemps
? Trop longtemps, quand les victimes de l'injustice n'en peuvent plus
d'attendre. » Jean-Marie Muller
Paix
intérieure et paix sociale sont donc totalement liées,
interdépendantes : elles se nourrissent mutuellement et
doivent être abordées comme indissociables.
Une
paix dynamique
« La
paix n'est pas comparable à un objet précieux qui nous
appartient, il faut toujours la conquérir »
Nordahl Grieg, la défaite, 1936
Dans
le Yi-king
chinois, l'hexagramme opposé à celui de la paix est
celui de la stagnation. Symboliquement cela indique que la paix
n'est pas un absolu, mais une recherche permanente, et que le
conflit n'est pas l'opposé de la paix. Une démarche
de paix ne vise pas à supprimer le conflit mais à le
transformer, « à le rendre fécond »
en extrayant toute la richesse qu’offre la confrontation des
différences.
La
paix est souvent présentée non par ce qu'elle est mais
par ce qu’elle n’est pas, par référence et
opposition à un autre concept, la guerre ou le conflit. Il
peut être intéressant de s’attacher à définir
la paix parce qu’elle est :
Un
bel idéal,
Evidemment la paix reste
un beau mot, qui permet de nommer un idéal et nous avons
besoin d'idéaux.
« Car
la paix ultimement, est plus que l'absence de la guerre, ou la
suspension de la guerre, c'est un bien positif, un état de
bonheur, consistant dans l'absence de crainte, la tranquillité
dans l'acceptation des différences » Paul
Ricoeur
Une
action,
« Comme
la guerre, la paix est action. Mais contrairement à la guerre,
elle est un ensemble diversifié d'actes de création,
accomplis dans la liberté, sans violation du territoire de
l'autre, au sein d'une société où chacun est
accepté et respecté. Ces actes de création sont
des actes de culture, au double sens du terme : culture de la terre
dans le respect de la nature, culture du corps et de l'esprit dans le
respect de chacun. (...) Ainsi revisitée la
paix apparaît comme progression et ouverture, comme
développement et partage. Elle est une dynamique qui
assume les contradictions inhérentes à la vie sociale
et prend appui sur elles pour construire un monde plus libre et plus
juste. Elle ne craint ni les crises ni les conflits, auxquels
elle apporte des solutions par le débat, sans exclure, si
nécessaire, le combat dans le respect du droit. L'esprit de
paix n'est donc pas à confondre avec le pacifisme. ».
Une
culture de paix à imaginer et à construire
« Il nous faut imaginer la paix.
L'imaginer, c'est-à-dire non la rêver ou l'halluciner,
mais la concevoir, la vouloir et l'espérer. »
Paul Ricoeur
« Pourquoi
faut-il imaginer la paix ? La réponse est très simple :
parce qu'elle n'est pas là. Ou insatisfaisante, précaire,
approximative. Elle doit donc être repensée, reprise,
refondée. » Roger-Pol Droit.
…
sur quel terreau cultiver la paix ?
« une culture de la convivialité et du partage,
fondée sur les principes de liberté, de justice et de
démocratie, de tolérance et de solidarité. Une
culture qui rejette la violence, s'attache à prévenir
les conflits à leurs sources et à résoudre les
problèmes par la voie du dialogue et de la négociation. »
Frédérico Mayor (UNESCO)
…
avec quel objectif de récolte ?
« Le
critère premier de la paix n'est pas l'absence de la guerre,
mais la présence de la justice. (...) Vouloir la paix, ce
n'est pas d'abord refuser la guerre, mais refuser l'injustice. Toutes
les offenses à la liberté et à la dignité
des personnes sont des atteintes à la paix. Il ne faut pas
dire trop vite que la paix vise à sceller l'amitié
entre les hommes. La paix vise avant tout à instaurer la
justice, et cette tâche est déjà
incommensurable. » Jean-Marie Muller
…
avec quelles techniques agricoles ?
«
Il est urgent de bâtir un art de la paix, et cela implique un
travail rigoureux de confrontation des expériences venues des
quatre coins de la terre et de tous les vents de l'histoire. »
Pierre Calame
Ainsi
est-il préférable de parler des cultures de paix
plutôt que de la culture de paix.
…
avec quel matériel ?
Construire
une culture de paix c'est aussi revoir les priorités de la
société dans l’allocation de ses moyens. Libérer
« les ressources humaines et financières
confisquées par la préparation de la guerre pour les
mettre au service de la préparation de la paix serait un
progrès décisif de la civilisation. Décider de
payer le prix de la paix exige, aussi bien de la part des dirigeants
que des citoyens, la volonté politique de changer l'ordre des
priorités afin de consacrer demain autant d'intelligence et
d'énergie à préparer la paix que celles qui ont
été investies hier pour préparer la guerre ».
Jean-Marie Muller
La
paix est de la responsabilité de chacun
« La
paix requiert plus de courage et de vertu que la guerre.
Vouloir
la paix, c'est cultiver la paix en semant dans tous les jardins de la
société
des
semences de non-violence ». Jean-Marie Muller
Nous sommes
tous invités à être des acteurs de paix. Comment
?
« Chacun
agit et interagit, inconsciemment, dans le devenir. La disparition du
messie historique restitue à tous et personne, à chaque
« bonne volonté » son rôle et sa
mission. Chacun se trouve désormais sommé, non plus
de déléguer sa foi au Parti porteur de Vérité
Historique, mais d'accéder à la conscience générique
et générale de l'humanité. »
Edgar Morin
« Les
valeurs nécessaires pour construire une paix durable ? La
capacité à admettre et comprendre la complexité,
la capacité à coopérer avec l'autre, l'esprit
critique, le sens du compromis, la perception aiguë de l'unité
et de la diversité simultanée du monde. La paix est
une science, un art, une culture. La paix s'apprend. Elle s'apprend
d'autant plus que dans la construction de la paix il n'est pas de
petite chose et de petite échelle. » Pierre
Calame
En
s'engageant/s’impliquant individuellement et collectivement pour
la paix avec des moyens de paix : La paix n'est
pas, ne peut pas être et ne sera jamais l'absence de conflits,
mais la maîtrise, la régulation et la résolution
positive des conflits par d'autres moyens que ceux de la violence
destructrice et meurtrière. « L'homme pacifique
n'est pas l'homme paisible qui veut avoir la paix en recherchant la
tranquillité à l'écart des conflits, mais celui
qui s'engage dans les conflits avec la volonté de les
résoudre. L'homme de paix est celui qui, à l'instar
de l'homme de guerre, sait prendre des risques pour faire advenir la
justice et défendre la liberté. »
Cette
vision de l’éducation à la paix est dérangeante :
une culture de paix ne vise pas à former de « gentils »
citoyens amorphes et soumis mais des citoyens engagés, qui se
forment et s’informent, résistants voire désobéissants
quand cela est nécessaire.
« L'issue
ne peut venir ni de la violence elle-même ni de l'a-violence,
c'est-à-dire du monde calfeutré des indifférents
installés dans la contemplation télévisés
des hécatombes (...) L'a-violence est ce permet à la
violence de prospérer et de se déchaîner. On
ne fera rien d'abord avec les tièdes »
Edgar Morin
Références
: